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Le Capharnaüm Éclairé

20 mai 2024

"Bleu à la lumière du jour" de Borja Gonzalez


L’histoire : Une époque indéterminée qui ressemble au Moyen Âge. Un château lentement rongé par la nature.

Entre relations familiales troubles et jalousies larvées, les femmes attendent le retour des hommes partis à la chasse. Elles attendent surtout un sacrifice rituel... celui de Matilde qui doit être offerte à une divinité antique. Face à l'inexorable, seule Teresa tente de sauver sa sœur.

 

La critique de Mr K : Dans le genre étrange et dérangeant, cette bande dessinée se pose là. C’est Nelfe qui l’a dégotée à la médiathèque de notre secteur et une fois de plus, elle a eu le nez creux. Bleu à la lumière du jour de Borja Gonzalez est une œuvre inclassable se situant entre le drame familial, le fantastique et la poésie dessinée. C’est beau, abscons et universel à la fois. J’ai adoré.
 

Dans un château perdu au milieu de nulle part seules les femmes sont au logis. Les hommes sont partis chasser pour plusieurs jours laissant femmes et enfants entre eux dans l’attente de leur retour qui sera marqué par une cérémonie sacrificielle. En l’absence des hommes, l’expectative se fait langoureuse et pleine de tension entre personnalités diverses et le statut de chacune et de chacun. La mère et les tantes, les filles et cousines marquent leurs désaccords, s’opposent, se heurtent voire se battent dans un climax de fin du monde.
 


Au cœur de tout cela Matilde, la fille cadette de la maisonnée, dont le sort semble scellé. Lequel ? On n’est sûr de rien mais il semblerait qu’elle doive être sacrifiée à une obscure divinité. Pourquoi et comment ? Le mystère plane et nous la suivons dans ses divagations dans la nature foisonnante environnante, les pièces et couloirs du château et ses interactions avec les autres habitants. On navigue à vue, dans une douceur et une mélancolie onirique avec des planches parfois totalement nues, dépourvues de mots. L’ambiance gothique est assez saisissante avec beaucoup de scènes nocturnes qui renforcent la nébulosité de l’ensemble et le mystère.
 

 


Les personnages parlent peu et ce sont leurs corps qui s'expriment pour eux dans leurs postures et ruptures. En effet les personnages de cette œuvre n’ont pas de visage défini ce qui rajoute à l’ambiance globale (pas de bouches, d’yeux et de nez). Certains éléments du décor sont simplifiés à l’extrême, les couleurs assez uniformes lorgnant vers la bichromie et accentuant les contrastes. Tout participe à cette sensation de monde rêvé, quasi intemporel, avec un malaise qui va grandissant, une violence cachée qui va s’exprimer et traduire le désarroi des personnages qui hantent ces pages.
 


La narration est assez bluffante même si certains pourront se sentir perdus. L’auteur fait appel avant tout à notre sensibilité et à notre capacité d’apporter avec nous certaines clefs de compréhension. L’effort n’est pas pour autant inimaginable et si l’on se laisse porter par l’œuvre elle-même, elle finit par nous parler et lorsqu’on la relit, elle prend encore plus d’ampleur et de signification. Loin des sentiers balisés, nous faisons partie prenante de la construction du sens avec un rythme de lecture qui s’adapte, sans lourdeur et une poésie de chaque planche, chaque case. Associations d’idées, atmosphère ou situation inspirante, cette lecture en devient presque profondément intime et par là même heurtante. Drôle d’impression vraiment que cette lecture, il m’est encore très difficile de mettre des mots qui sonnent justes sur toutes les impressions et ressentis que j’ai pu éprouver.

 


Voici donc une lecture qui sort de l’ordinaire, une expérience à part entière que je vous invite à tenter à votre tour si l’étrange, le fantastique et l’onirisme ne vous font pas peur. Je peux vous garantir que vous n’avez jamais lu une œuvre de cet acabit.

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15 mai 2024

"La Moïra" trilogie de Henri Loevenbruck


L’histoire : Aléa, une jeune orpheline de treize ans, hérite sans le vouloir d'un don étrange et unique qui va la plonger au cœur des conflits politiques et religieux de l'île de Gaelia. Est-elle devenue le Samildanach, annoncé par la légende comme le sauveur des peuples de l'île ? Fuyant sa ville natale, Aléa va devoir grandir seule et assumer une vie nouvelle. Elle va découvrir l'amour comme la haine, et elle devra faire face à de nouveaux ennemis : les soldats de la flamme, fanatiques religieux pour qui elle est devenue un danger, le conseil des druides, qui lui envient son pouvoir et de bien plus sombres rivaux encore. Dans l'ombre, tel le reflet d'un miroir, une louve solitaire vit une aventure étrangement parallèle à celle de la jeune orpheline. Leur avenir est encore flou, mais une destinée unique attend la louve et l'enfant…

 

La critique de Mr K : Plongée en fantasy classique avec cette lecture de vacances sympathique et évocatrice. La trilogie de la Moïra d’Henri Loevenbruck fait le job et propose de la bonne aventure dans un univers soigné et dense, des personnages très charismatiques et des rebondissements à foison. Les trois volumes s’avalent à la suite sans souci et malgré quelques défauts, on passe vraiment un très bon moment.

 

Gaelia, île isolée du reste du continent, que les géographes auront vite fait reconnu comme l’Irlande, vit sous la double égide de l’ordre des Druides et du haut roi de Galatie. Les premiers s’appuient sur la tradition, leur lien indéfectible avec l’ordre naturel et les gens, et la magie liée au Saîman, une force globale qui nous entoure et que seuls les druides savent manipuler. Cinq comtés constituent le royaume et des tensions existent notamment avec Harcourt, le comté de l’ouest où la religion chrétienne s’est propagée et met à mal l’ordre druidique établi. Depuis une vingtaine d’années cependant la paix semble régner et devoir durer. Mais les événements vont se précipiter.

 

Le destin (La Moïra) va en effet s’emballer après la découverte par une jeune orpheline vivant dans les rues d’une bague sur un cadavre à demi enseveli dans la lande environnante. Ce bijou est la marque du Samildanach, un être mythique, messianique, qui selon une prophétie possède de grands pouvoirs. Or, lorsqu’Aléa enfile la bague, elle sent bien une étrange force l’habiter. Se pourrait-il qu’elle soit l’élu ? Il y a un hic, seuls les hommes peuvent devenir druides alors comment pourrait-elle être le prochain Samildanach ? Le Druide ultime, supérieur, sensé apaiser le monde.
 


À partir de là, l’auteur multiplie les points de vue. On va évidemment suivre le parcours semé d’embûche d’Aléa, rencontrer ses futurs compagnons dont un nain grincheux et aventureux , une barde belle et envoûtante, un jeune garde du corps de druide pas chétif (comprendre beauuuuu et pas trop con), un druide taciturne et paternel, et une multitude de rôles secondaires aussi fouillés que très bien incarnés par l’écriture de Loevenbruck. Très vite, c’est un classique en fantasy, on se retrouve face à une belle troupe qui alterne aventures parfois épiques, scènes de taverne (très très réussies et nombreuses), échanges nocturnes au coin du feu et échanges d’amabilités et sagesses. Même si on reste en terrain connu et que les développements personnels de chacun sont assez prévisibles, on se prend vite d’affection pour Aléa et sa troupe.

 

Les forces opposantes ne sont pas en reste avec des passages lorgnant vers Game of thrones avec les différents partis qui souhaitent sortir les marrons du feu à la faveur d’une déstabilisation sans précédent de Gaelia. Guerre de religion et d’influence politique, conflits de personnes avec son lot de coups pendables, de trahisons et de crimes infects en famille parfois -sic-, on ne s’ennuie pas une seconde avec une trame très riche avec en sous-texte une menace insidieuse, perverse, d’un druide renégat devenu chef des forces du Mal et obsédé par Aléa. On a vraiment affaire à une œuvre assez magistrale en terme de construction et même si la fin est un peu abrupte, j’aurais rajouté une cinquantaine de pages pour ne pas avoir ce sentiment diffus de bâclage sur le duel final, on a nos réponses et on referme l’ouvrage heureux.

 

Là où Loevenbruck excelle, c’est dans les scènes de batailles. On s’y croirait. Le livre est estampillé jeunesse mais ça défouraille sévère. Rien ne nous est épargné en terme de blessures, mutilations et souffrances. Cela renvoie vraiment l’image que la guerre est sale, avilissante et d’une violence inouïe. Je dois avouer que j’aime ce parti pris et même si les âmes sensibles pourraient être choquées, il est intéressant pour un jeune de se confronter à cela, le tout étant en adéquation avec la quête de paix et de sérénité d’Aléa non pour son confort personnel mais pour Gaelia. Les descriptions sont superbes aussi, on est littéralement immergé dans un monde ambivalent entre moyen-âge classique et incursions fantastiques, le tout teinté de culture gaélique. On s’émerveille dans les forêts profondes peuplées de Sylphe, on tremble avec nos héros dans les profondeurs de la terre qui regorge de secrets non avouables, on reste ébahi devant la beauté et la puissance de Saîmina la tour des druides, on traînasse dans les rues de villages et de villes pleins de vie, on espionne dans les salons et palais les tractations de chacun et l’on partage les atermoiements des différents protagonistes, leurs pensées et aspirations.

 

Seul bémol, le personnage d’Imala la louve qui doit partager le destin d’Aléa et qui est clairement sous-exploité voire se révèle quasi inutile à partir du tome deux. J’ai beau adorer les loups (comme l’auteur sans doute), j’ai trouvé cet arc narratif pas assez poussé, prétexte trop souvent du remplissage et ce n’est pas l’ultime révélation qui m’a convaincu… J’ai trouvé aussi certaines scènes de dialogues parfois ubuesques avec des personnages au comportement trop enfantin vu leur âge (je pense à la barde et au druide principal) ou au contraire trop adulte pour leur âge (clairement Aléa). Cependant cela n’enlève rien à leur charisme et dans le désir de suivre leurs aventures.

 

Au final, voici une très chouette saga de fantasy, accessible, dynamique et parfois sans concession. Typiquement le genre de lecture qui me procure évasion et plaisir de lire. À lire par tous les amateurs du genre.

13 mai 2024

"La Stratégie du lézard" de Valerio Varesi

L’histoire : Dans la ville crépusculaire de Parme, recouverte d’un épais manteau de neige, la pourriture semble se cacher partout : la corruption sévit, la criminalité échappe à tout contrôle et la révolte grandit.
Le commissaire Soneri tente difficilement de réprimer sa colère devant ce désordre incontrôlable. Il doit composer avec trois axes d’investigation, trois faits étranges dont le lien semble impossible à faire. Le premier vient d’Angela, sa compagne, qui rapporte des sons étranges provenant de la rive du fleuve. Se glissant dans l’herbe gelée, Soneri trouve un téléphone portable – sans carte mémoire – et de mystérieuses traces de chiens qui ne vont nulle part. La seconde débute dans un hospice, avec la disparition mystérieuse d’un vieil homme amnésique, et qui semble n’avoir laissé aucune trace. Enfin, la troisième piste d’enquête conduit Soneri vers les pistes de ski sur lesquelles le maire de la ville s’est évaporé : tout le monde savait
qu’il serait là en vacances, personne ne se souvient de l’y avoir vu.
S’il y a bien une chose dont est certain Soneri, c’est que tous ces cas dissimulent une même stratégie : celle du lézard.

 

La critique de Mr K : Retour à Parme aujourd’hui avec une nouvelle enquête du commissaire Soneri sortie il y a peu chez Agullo qui en est à son neuvième opus consacré à cet enquêteur attachant et peu ordinaire qui aime par dessus tout râler et déguster de bons petits plats. Au bout d’un chapitre, on retrouve ses aises directement porté par l’écriture subtile de Valerio Varesi, des personnages charismatiques au possible et un sous-texte sans ambiguïté sur les accointances de gauche de l’auteur. Autant vous dire que je suis sorti ravi de cette lecture.

 

Dans La Stratégie du Lézard, on retrouve Soneri avec pas moins de trois enquêtes sur le dos. Des petits dossiers à priori, du moins pour les deux premiers. Un téléphone portable dont la sonnerie retentit dans la nuit qui le met sur la piste d’une filière de passeurs de drogue usant de méthodes terribles, un vieil homme disparu puis retrouvé mort dans l’escalier de service de son hospice. Presque de la routine, les investigations se mettent en place. Tout se complique, avec une troisième affaire et non des moindres… Le maire de Parme semble avoir disparu alors qu'il effectuait un séjour de sport d’hiver avec de jeunes déshérités, histoire de soigner sa campagne électorale. L’affaire agite les bureaux de la questure et l’ambiance devient lourde dans la ville soumise à diverses pressions tant en coulisse que dans la rue.

 

Soneri, Soneri, Soneri… J’adore ce personnage. Désenchanté mais lucide, il fait bien souvent cavalier seul. Il se heurte ici aux limites de la démocratie et de la justice, ces dernières ne pouvant lutter contre le système capitaliste, les élites déconnectées et totalement ravagées par la gangrène de la corruption et l’omniprésence voire l’omnipotence de la mafia. Politique spectacle, recherche du profit par tous les moyens, manipulation des médias et morale élémentaire bafouée écœurent notre héros qui lutte malgré tout, malgré l’évidence qu’il est bien seul face à ce monde auquel il ne semble plus appartenir. Certains coups de fils sont bien révélateurs durant l’enquête, comment faire pour pouvoir faire progresser sa quête de vérité quand les portes se ferment ou que les individus refusent de vous aider y compris dans les sphères de la police et de la justice.

 

Et il râle, Soneri, il râle. Il peste, il engueule, il remue autour de lui. Il peut compter sur son Second, Juvara, plus jeune mais fidèle et porteur des mêmes valeurs que lui, investi comme d’une mission de travailler avec cet homme qu’il admire. Il y a aussi Angela son avocate d’amoureuse qui sait lui inspirer les meilleures déductions mais se retrouve du coup souvent en plan (elle a du courage tout de même de rester avec lui). Soneri avance pas à pas, à son rythme, sans se presser mais implacable dans son genre entre deux bonnes dégustations qui donnent l’eau à la bouche même si l’on doit se contenter d’encre et de papier. Je l’aime ce commissaire désabusé qui pour autant ne lâche rien et résiste à sa manière au monde et à sa connerie.

 

Lire du Valerio Varesi, c’est donc se plonger dans une ambiance unique entre langueur et renoncement. La mélancolie de Soneri imprègne ces pages et ses réflexions nous accompagnent tout autant que le récit. D’ailleurs les enquêtes en elles-même ne sont qu’un prétexte (et même si cet aspect est très bien troussé), je retiendrai davantage les considérations et pensées du personnage principal, la langue si fluide et évocatrice de l’auteur et l’addiction qui s’empare de nous dès les premières pages sans jamais relâcher ses griffes. Un très bon crû donc. Une fois de plus j'ai envie de dire.

 

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Or, encens et poussière
- La Maison du commandant
- Nouvelles de Noël
- Ce n'est qu'un début, commissaire Soneri

8 mai 2024

"La Bombe" d'Alcante, Bollée et Rodier


L’histoire : L’incroyable histoire vraie de l’arme la plus effroyable jamais créée.

Le 6 août 1945, une bombe atomique ravage Hiroshima. Des dizaines de milliers de personnes sont instantanément pulvérisées. Et le monde entier découvre, horrifié, l’existence de la bombe atomique, première arme de destruction massive. Mais dans quel contexte, comment et par qui cet instrument de mort a-t-il pu être développé ?

Véritable saga de 450 pages, ce roman graphique raconte les coulisses et les personnages-clés de cet événement historique qui, en 2020, commémore son 75e anniversaire. Des mines d’uranium du Katanga jusqu’au Japon, en passant par l’Allemagne, la Norvège, l’URSS et le Nouveau-Mexique, c’est une succession de faits incroyables mais vrais qui se sont ainsi déroulés.

 

La critique de Mr K : Encore une belle pioche avec cet ouvrage emprunté à notre médiathèque. Il me faisait de l’œil sur les réseaux depuis quelques temps et un collègue de travail m’en avait parlé. L’occasion fait le larron, je l’ai emprunté et La Bombe d’Alcante, Bollée et Rodier est une grande et franche réussite. Aussi beau que dense et rigoureux dans son contenu, après sa lecture on reste littéralement médusé devant tous les enjeux et aspects abordés par des auteurs doués et soucieux avant tout de vérité. Un must-read dans le genre.
 


Ce récit est donc l’histoire de la bombe, de la course à l’arme atomique en pleine guerre mondiale dont l’issue ne semble pas encore certaine. Des scientifiques du monde entier œuvrent donc en secret pour fournir une nouvelle arme qui pourrait faire la décision et mettre fin au conflit. L’ouvrage fait beaucoup le focus sur les États-Unis mais quelques passages font l’état des lieux chez les Allemands et chez les Russes montrant qu’on était vraiment dans une logique partagée par de nombreuses puissances.

 


La parole est donnée à l’uranium, narrateur de cette terrible épopée qui se finira tragiquement par la mort de centaines de milliers d’êtres humains. Biographie d’une arme meurtrière, il fallait oser et cela donne une puissance évocatrice assez déstabilisante à l’œuvre. Les auteurs nous proposent donc de tout savoir à son propos depuis sa découverte, son étude par différents savants, son exploitation commerciale et les luttes internationales autour de ses mines, sa manipulation et transformation notamment en plutonium, la main mise des militaires sur lui et les politiques qui vont s’en servir pour leurs propres desseins, le financement en millions de dollars, la course à la recherche et l’armement mais aussi la prise de conscience progressive de certains acteurs qui vont tout faire pour empêcher son utilisation sans succès malheureusement. Vaste programme traité avec finesse, exactitude et un sens de la narration hors pair pour éviter le trop plein et l’indigestion.
 


On croise énormément de personnes qui ont écrit l’Histoire, Truman et Oppenheimer évidemment dont tout le monde connaît au moins le nom mais aussi les différents savants de différentes nationalités qui ont participé de près ou de loin à cette aventure scientifique hors du commun (de nombreux prix Nobel et affiliés notamment), le général Groves qui supervise l’opération depuis le début et espionne les savants à son service par peur de la taupe et de la transmission de données à haute valeur stratégique, l’équipage de l’Enola Gay, des civils japonais dont le destin tragique d’une famille que la guerre bouleverse dans ses fondements, les cobayes humains américains sacrifiés au nom de la cause… autant de points de vue différents qui se complètent et donnent un tableau général saisissant.
 


L’ambiance générale est glaçante, tirant vers la paranoïa la plus extrême. C’est très bien rendu entre espionnage, luttes d’influences diverses entre forcenés de la bombe et ceux qui y voient une micro-apocalypse après laquelle plus rien ne sera pareil… Une certaines ambivalence met vraiment le malaise au cœur de l’esprit du lecteur, certains acteurs clefs jouant sur plusieurs tableaux où raison et affect s’entrechoquent et vont avoir des conséquences essentielles pour la suite. L’uranium, la fission atomique fascinent et aimantent les esprits scientifiques de l’époque et laissent de côté certains aspects moraux qui pourtant nous paraissent essentiels. De quoi faire froid dans le dos…

 


L’œuvre est en noir et blanc. Vives, puissantes, intimistes parfois, souvent bouleversantes, les planches magnifient le propos, l’auteur joue sur les ombres à l’image de celle fixée par un être humain sur les marches de la banque Sumimoto, le 6 août 1945 à 8h15 du matin. Cette image a marqué Alcante qui a décidé alors de raconter la Bombe et cela a donné cette BD. Rappelons juste que cette catastrophe a fait, le jour de l’explosion, 70 000 morts à Hiroshima et 40 000 morts à Nagasaki, un bilan qui s’aggravera dans les mois et années à suivre… On referme l’ouvrage le cœur au bord des lèvres sur ces mots : "Cette ombre est ma signature peut être mon âme… certainement mon pouvoir. Puisse-t-elle vous hanter à jamais". Une lecture essentielle.

5 mai 2024

"La Maison aux pattes de poulet" de GennaRose Nethercott


L’histoire : Séparés depuis l’enfance, Bellatine et Isaac Yaga pensaient ne jamais se revoir. Mais lorsque tous deux apprennent qu’ils vont hériter de leur grand-mère ukrainienne, frère et sœur acceptent de se rencontrer. Ils découvrent alors que leur legs n’est ni une propriété ni de l’argent, mais quelque chose de bien étrange : une maison intelligente juchée sur des pattes de poulet.


Arrivée de Kyiv, foyer ancestral de la famille Yaga, l’isba est traquée par une entité maléfique : Ombrelongue, qui ne reculera devant aucun acte de violence pour détruire l’héritage de Baba Yaga.

 

La critique de Mr K : Chronique d’un ouvrage original et magique aujourd’hui avec La Maison aux pattes de poulet de GennaRose Nethercott, un ouvrage à la confluence des genres entre conte, fantastique, drame familial et devoir de mémoire ! Personnages complexes et attachants, thèmes universels, ambiance unique et langue évocatrice comme jamais font de cette lecture une expérience mémorable et de premier choix.

 

USA, 2019, Bellatine et Isaac Yaga, deux jeune gens, sœur et frère, ne se sont pas vus depuis des années. Bellatine a le don d’insuffler la vie par ses mains, Isaac peut se "transformer" en n’importe qui. Elle contient et endigue ce pouvoir qui lui fait peur, lui au contraire l’utilise constamment pour mener à bien ses arnaques au point de s’y perdre... Ces deux là se retrouvent à l’occasion d’un héritage. Leur arrière grand-mère, la célèbre Baba-Yaga, leur lègue sa maison intelligente montée sur des pattes de poulet ! Malheureusement, cette dernière est aussi convoitée par un être maléfique, Ombrelongue, qui ne recule devant rien et malheur à celles et ceux qui se mettraient en travers de la route.

 

On se prend assez vite d’affection pour Isaac et Bellantine. Isaac est l’archétype du hobo, c’est à dire le travailleur sans domicile fixe se déplaçant d’un lieu à un autre, vivant de travaux manuels saisonniers et d’expédients pas toujours très clairs. Très vite, on comprend qu’il vit dans un certain déni, qu’il a fui une réalité familiale, quelque chose qui lui fait peur et il se cache derrière les masques qu’il emprunte aux autres. Quand on s’intéresse à l'arrière de la façade désagréable qu’il présente pour se forger une carapace, on est touché par cet être un peu perdu et que la réunion avec sa sœur va changer et faire évoluer fortement. Bellantine n’est pas ne reste, vivant isolée, manuelle pour ne pas se laisser dépasser par ses capacités. Elle vit loin du monde et de ses tumultes, préférant la compagnie de quelques personnes de confiance.

 

La rencontre des deux va faire des étincelles. Bellantine tombe instantanément sous le charme de la vieille demeure de son aïeule et son frère, par un habile chantage, la persuade de partir dans une tournée improbable à travers les États-Unis en faisant revivre le théâtre de marionnettes itinérant de leurs parents. De quoi filer des sueurs froide à Bellantine qui depuis un tragique incident lors d’un spectacle a découvert l’étendue de ses pouvoirs et leur potentiel de nuisance. Le rapport avec son frère et son évolution est au cœur de l’intrigue, dirige la narration et les révélations se font de manière diluée avec un sens de l’agencement peu commun. Psychologie ciselée, drames nombreux qui ne préviennent pas mais implacables et logiques, confusion du réel et de l’irréel, de ce qui est de l’ordre du pensé, du ressenti, du vécu… On nage dans le brouillard avec délice et quand il se lève, on n’est vraiment pas loin de l’émerveillement total.

 

Voyage au cœur de leurs origines avec son lot de scènes marquantes, il y a aussi la menace insidieuse puis très rapprochée d’Ombrelongue qui mène le lecteur très loin dans un univers imaginaire foisonnant et profond. GennaRose Nethercott a une imagination débordante, se rapprochant d’un Neil Gaiman même si les deux auteurs sont uniques. Ici la langue est érudite, exigeante mais aussi très poétique. La lecture se fait belle, reflet d’une sensibilité et d’une puissance parfois incroyable. On se fait littéralement emporter et une fois pris, il est tout bonnement impossible de faire machine arrière. Tout est fluide, fantastique dans tous les sens du terme avec en cœur de ce conte terrible l’idée que la mémoire et l’identité sont liés et que l’oubli mène au chaos. C’est brillamment emmené et engagé à sa manière.

 

Un petit bijou qui se mérite, une langue inventive et foisonnante, des personnages très attachants et une ambiance gothique unique, cet ouvrage est franchement top et différent de ce qu'on a l'habitude de lire. Vivement le prochain ouvrage de l’auteure !

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3 mai 2024

"Forgotten Blade" de Tze Chun et Toni Fejzula


L’histoire : “C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de tuer Dieu !” Au royaume des Cinq Rivières, Ruza “Le Crasseux”, le plus célèbre des guerriers et maître de la “lame oubliée”, rêve de trouver un adversaire à sa mesure – en vain. Jusqu’au jour où Noa, une chamane en quête de vengeance, vient lui proposer un défi hors du commun : vaincre le Patriarche, le dieu tout-puissant de leur monde. Pour cela, ils devront infiltrer la Citadelle, affronter l’Inquisition et découvrir la source des Cinq Rivières, quitte à remettre en question toutes leurs croyances...

 

La critique de Mr K : Belle découverte que ce one-shot dégoté à notre médiathèque et qui se lit d’une traite avec grand plaisir. Forgotten Blade de Tze Chun et Toni Fejzula est à la croisée des genres entre SF et fantasy, un comics à la fois dynamique, efficace et assez profond dans les questionnements qu’il suscite. Bonne pioche !

 

Au royaume des cinq rivières, l’ordre établi est représenté par une église toute puissante qui fait respecter ses dogmes par la superstition, la peur et la force. Rien ne semble pouvoir remettre en question tout cela jusqu’à ce que deux personnages que rien ne prédestinait à se rencontrer fassent un bout de route ensemble. En effet, entre Ruza, le plus redoutable guerrier du monde connu en manque de motivation faute d’adversaire à sa taille, et Noa, une chamane ayant tout perdu et ivre de vengeance, pas grand-chose en commun si ce n’est un gros challenge qui les attend derrière les portes de la Citadelle, lieu sacré renfermant les secrets les plus ésotériques et où ils pourraient réaliser leurs aspirations respectives. Le chemin sera long et éprouvant vous vous en doutez et les révélations vont pleuvoir.
 


Sur le papier, le scénario est plutôt basique et d’ailleurs au fil de la lecture, on suit avec le sourire aux lèvres un sentier narratif plutôt convenu mais diablement efficace. On pourrait presque craindre que l’on tombe dans le manichéisme outrancier mais les auteurs sont très malins, la caractérisation des personnages évolue grandement et chacun a ses fêlures. Protagonistes principaux et secondaires sont assez fouillés, développés comme il faut pour densifier un récit initiatique et intimiste à la fois. Les deux personnages principaux sont tous les deux attachants chacun à sa manière. On passe vraiment par tous les états durant cette lecture et c’est avec une certaine émotion qu’on les quitte dans un final grandiose.
 


Le background est d’une grande richesse lui aussi malgré le format court. Les auteurs ont crée un monde dans son entier, une mythologie assez poussée. L’immersion et le dépaysement sont donc impressionnants et la plongée immédiate avec les fameuses cinq rivières, les forêts profondes et inhospitalières, la capitale tentaculaire et son temple si mystérieux. On croise de drôles de zigs et des créatures plus qu’inquiétantes. Le pire étant évidemment l’organisation religieuse qui détient les pleins pouvoirs et son bras armé de l’Inquisition qui ne recule devant aucune horreur pour maintenir le carcan sur la société. Et puis, il y a le mystère des origines, ce qui se cache derrière une porte que personne n’a jamais franchie et qui révélera son ampleur en toute fin d’ouvrage.
 


Graphiquement, on prend une sacrée claque, les planches proposées sont magnifiques que ce soit au niveau du trait que des teintes employées. Entre dynamisme des scènes d’action et pages plus descriptives (et grandioses bien souvent), l’équilibre est parfait, la BD est d’une cohérence de tous les instants dans les choix proposés et on passe vraiment un excellent moment. On ne voit pas le temps passer et on referme le volume en se disant qu’on en aurait bien repris pour 100 pages de plus ! À lire absolument pour tous les amateurs.

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