"Bleu à la lumière du jour" de Borja Gonzalez
L’histoire : Une époque indéterminée qui ressemble au Moyen Âge. Un château lentement rongé par la nature.
Entre relations familiales troubles et jalousies larvées, les femmes attendent le retour des hommes partis à la chasse. Elles attendent surtout un sacrifice rituel... celui de Matilde qui doit être offerte à une divinité antique. Face à l'inexorable, seule Teresa tente de sauver sa sœur.
La critique de Mr K : Dans le genre étrange et dérangeant, cette bande dessinée se pose là. C’est Nelfe qui l’a dégotée à la médiathèque de notre secteur et une fois de plus, elle a eu le nez creux. Bleu à la lumière du jour de Borja Gonzalez est une œuvre inclassable se situant entre le drame familial, le fantastique et la poésie dessinée. C’est beau, abscons et universel à la fois. J’ai adoré.
Dans un château perdu au milieu de nulle part seules les femmes sont au logis. Les hommes sont partis chasser pour plusieurs jours laissant femmes et enfants entre eux dans l’attente de leur retour qui sera marqué par une cérémonie sacrificielle. En l’absence des hommes, l’expectative se fait langoureuse et pleine de tension entre personnalités diverses et le statut de chacune et de chacun. La mère et les tantes, les filles et cousines marquent leurs désaccords, s’opposent, se heurtent voire se battent dans un climax de fin du monde.
Au cœur de tout cela Matilde, la fille cadette de la maisonnée, dont le sort semble scellé. Lequel ? On n’est sûr de rien mais il semblerait qu’elle doive être sacrifiée à une obscure divinité. Pourquoi et comment ? Le mystère plane et nous la suivons dans ses divagations dans la nature foisonnante environnante, les pièces et couloirs du château et ses interactions avec les autres habitants. On navigue à vue, dans une douceur et une mélancolie onirique avec des planches parfois totalement nues, dépourvues de mots. L’ambiance gothique est assez saisissante avec beaucoup de scènes nocturnes qui renforcent la nébulosité de l’ensemble et le mystère.
Les personnages parlent peu et ce sont leurs corps qui s'expriment pour eux dans leurs postures et ruptures. En effet les personnages de cette œuvre n’ont pas de visage défini ce qui rajoute à l’ambiance globale (pas de bouches, d’yeux et de nez). Certains éléments du décor sont simplifiés à l’extrême, les couleurs assez uniformes lorgnant vers la bichromie et accentuant les contrastes. Tout participe à cette sensation de monde rêvé, quasi intemporel, avec un malaise qui va grandissant, une violence cachée qui va s’exprimer et traduire le désarroi des personnages qui hantent ces pages.
La narration est assez bluffante même si certains pourront se sentir perdus. L’auteur fait appel avant tout à notre sensibilité et à notre capacité d’apporter avec nous certaines clefs de compréhension. L’effort n’est pas pour autant inimaginable et si l’on se laisse porter par l’œuvre elle-même, elle finit par nous parler et lorsqu’on la relit, elle prend encore plus d’ampleur et de signification. Loin des sentiers balisés, nous faisons partie prenante de la construction du sens avec un rythme de lecture qui s’adapte, sans lourdeur et une poésie de chaque planche, chaque case. Associations d’idées, atmosphère ou situation inspirante, cette lecture en devient presque profondément intime et par là même heurtante. Drôle d’impression vraiment que cette lecture, il m’est encore très difficile de mettre des mots qui sonnent justes sur toutes les impressions et ressentis que j’ai pu éprouver.
Voici donc une lecture qui sort de l’ordinaire, une expérience à part entière que je vous invite à tenter à votre tour si l’étrange, le fantastique et l’onirisme ne vous font pas peur. Je peux vous garantir que vous n’avez jamais lu une œuvre de cet acabit.